mercredi 18 janvier 2012

L’oiseau et moi

   
Oui, c’est avec
Le bout de ses ailes trempées
De rosée
Qu’un oiseau envoie les baisers
Qui tremblent dans son bec.

Et moi, c’est en nouant
Mes bras rieurs
Au cou de ma maman,
Que je lui donne les baisers
De l’oiseau léger
Qui chante dans mon cœur.

Maurice Carême

Effigie



Est-ce encore ton visage,

Mère, ou déjà le mien

Qui s’efface et devient

Ce sourire sans âge…

Maurice Carême


Bleu et blanc


Un petit chat bleu
Semé de pois blancs
Vit un gros rat blanc
Semé de pois bleus.

Leurs mignonnes queues
Différaient de peu.
Oui, mais seulement

Le nez du chat bleu
Etait tout tout blanc,
Le nez du rat blanc
Etait tout tout bleu.

Leurs joues et leurs yeux
Différaient de peu.

Oui, mais seulement
Un cil du chat bleu
Etait tout tout blanc,
Un cil du rat blanc
Etait tout tout bleu.

A cause de ce peu,
De ce tout petit peu
De blanc et de bleu,
Ils continuèrent
A se faire la guerre.

Maurice Carême
La cage aux grillons

Il porte un oiseau dans son cœur,

    
Il porte un oiseau dans son cœur,
 L'enfant qui joue des heures, seul,

 Avec des couronnes de fleurs
 Sous l'ombre étoilée du tilleul.

 Il semble toujours étranger
 À ce qu'on fait, à ce qu'on dit

Et n'aime vraiment regarder
 Que le vent calme du verger.

Autour de lui, riant d'échos,
 Le monde est rond comme un cerceau.

Maurice Carême

D'Une Bouteille D'Encre




D'une bouteille d'encre
On peut tout retirer :
Le navire avec l'ancre,
La chèvre avec le pré,

La tour avec la reine,
La branche avec l'oiseau,
L'esclave avec la chaîne,
L'ours avec l'Esquimau.

D'une bouteille d'encre
On peut tout retirer :
Si l'on n'est pas un cancre
Et qu'on sait dessiner.

Maurice Carême.

mardi 17 janvier 2012

Ah ! Que De Merveilles Scintilles

Ah ! que de merveilles scintillent
Lorsque danse une goutte d'eau !
Un ange parfois joue aux billes,
Une étoile tombe au ruisseau.

On ne sait jamais quel manteau
De fée courant dans les jonquilles
On peut coudre avec une aiguille
En rêvant derrière un carreau.



Maurice Carême

Étranges fleurs


 L'automne met dans les lilas
D'étranges fleurs que nul ne voit,

Des fleurs aux tons si transparents
Qu'il faut avoir gardé longtemps

Son âme de petit enfant
Pour les voir le long des sentiers

Et pour pouvoir les assembler
En un seul bouquet de clarté

Comme font, à l'aube, les anges
Les mains pleines d'étoiles blanches...

Maurice Carême

Le Nuage


Un nuage, parmi les autres,
Reforme sans cesse un visage.

 Il promène sur les villages
Un regard dont il ne sait rien,

Et s'il sourit au paysage,
Ce sourire n'est pas le sien.

 Mais l'homme qui le voit sourire
Et qui sourit à son passage,
En sut-il jamais davantage ?



Maurice Carême

Le Bouleau



Chaque nuit, le bouleau
Du fond de mon jardin
Devient un long bateau
Qui descend ou l'Escaut
Ou la Meuse ou le Rhin.

Il court à l'Océan
Qu'il traverse en jouant
Avec les albatros,
Salue Valparaiso,
Crie bonjour à Tokyo
Et sourit à Formose.

Puis, dans le matin rose
Ayant longé le Pôle,
Des rades et des môles,
Lentement redevient
Bouleau de mon jardin.



Maurice Carême

Il Pleut Doucement, Ma Mère


Il pleut doucement, ma mère,

Et c’est l’automne
Si doucement
Que c’est la même pluie
Et le même automne
Qu’il y a bien des ans.

 Il pleut et il y a encore,
Comme il y a bien des ans,
Combien de cœurs au fil de l’eau
Et combien de petits sabots
Rêvant au coin de l’âtre.

Et c’est le soir, ma mère,
Et tes genoux sont là
Si près du feu
Que c’est le même soir
Et les mêmes genoux
Qu’il y a bien des ans.

 Il pleut doucement, ma mère,
Et c’est l’automne
Et c’est le soir, ma mère,
Et tes genoux sont là.

 Prends-moi sur tes genoux, ce soir,
Comme il y a bien des ans
Et raconte-moi l'histoire
De la Belle au bois dormant.



                                    Maurice Carême


L'Ecolière


Bon Dieu ! que de choses à faire!
Enlève tes souliers crottés,
Pends donc ton écharpe au vestiaire,
Lave tes mains pour le goûter,

 Revois tes règles de grammaire.
Ton problème, est-il résolu ?
Et la carte de l'Angleterre,
Dis, quand la dessineras-tu ?


Aurai-je le temps de bercer
Un tout petit peu ma poupée,
De rêver, assise par terre,
Devant mes châteaux de nuées ?
Bon Dieu ! que de choses à faire


Maurice Carême

J’aime ma mère


 J’aime ma sœur
Pour ses yeux clairs,

J’aime mon frère
Pour sa candeur,

J’aime mon père
Pour sa douceur

Et je ne dois
Sûrement pas
Dire pourquoi
J’aime ma mère.

Je me demande
Même parfois
Si je ne l’aime
Pas plus que moi.

N’est-elle pas
La vraie lumière
Qui nous éclaire,
Ma sœur, mon frère,
Mon père et moi?



Maurice Carême

Pour Mon Père


 Mon père aimé, mon père à moi,
Toi qui me fais bondir
Sur tes genoux
Comme un chamois, 


Que pourrais-je te dire
Que tu ne sais déjà ? 


Il fait si doux
Quand ton sourire
Eclaire tout
Sous notre toit. 


Je me sens fort, je me sens roi,
Quand je marche à côté de toi.


Maurice carême

Mon Cœur

               
- Ton cœur,                  
Mais c'est une noisette,                        
Prétend ma cousine Antoinette.           
- Ton cœur,                  
Mais c'est du massepain,                     
Me dit souvent parrain.                           
- Ton cœur,                 
Mais c'est du beurre,                            
Me répète à toute heure                        
Tante Solange.              
Moi, je veux bien,                                  
Mais je ne veux pas qu'on le mange :
J'y tiens !

Maurice Carême

Le Chat Et Le Soleil



Le chat ouvrit les yeux,
Le soleil y entra.
Le chat ferma les yeux,
Le soleil y resta.

Voilà pourquoi, le soir,
Quand le chat se réveille,
J'aperçois dans le noir
Deux morceaux de soleil.

Maurice Carême

Ma gomme


Avec ma gomme, dit l’enfant
-La gomme que j’ai dans le cœur-
Je puis rayer tous les malheurs. 
Avec ma gomme, dit l’enfant,
Je pourrais faire disparaître
L’univers et tous ses vivants. 


Mais qui jamais sur cette terre
-Fût-il le Dieu le plus fûté -
Serait capable d’effacer 
Avec sa gomme de lumière
Le beau visage de ma mère
Du livre de l’éternité !


Maurice Carême

Maman


J’ai de toi une image
Qui ne vit qu’en mon cœur.
Là, tes traits sont si purs
Que tu n’as aucun âge. 

Là, tu peux me parler
Sans remuer les lèvres,
Tu peux me regarder
Sans ouvrir les paupières. 

Et lorsque le malheur
M’attend sur le chemin,
Je le sais par ton cœur
Qui bat contre le mien.

 Maurice Carême

Deux petits éléphants


C'était deux petits éléphants,
Deux petits éléphants tout blancs.


Lorsqu'ils mangeaient de la tomate,
Ils devenaient tout écarlates.

Dégustaient-ils un peu d'oseille,
On les retrouvait vert bouteille.
  
Suçaient-ils une mirabelle,
Ils passaient au jaune de miel.

On leur donnait alors du lait :
Ils redevenaient d'un blanc tout frais.

 Mais on les gava, près d'Angkor,
Pour le mariage d'un raja,
D'un grand sachet de poudre d'or.
Et ils brillèrent, ce jour-là,
  
D'un tel éclat que plus jamais,
Même en buvant des seaux de lait,
Ils ne redevinrent tout blancs,
Ces jolis petits éléphants.

Maurice Carême

Avez-Vous Vu?

Avez-vous vu le dromadaire
Dont les pieds ne touchent pas terre?

Avez-vous vu le léopard
Qui aime loger dans les gares?

Avez-vous vu le vieux lion
Qui joue si bien du violon?

 Avez-vous vu le kangourou
Qui chante et n'a jamais le sou?

Avez-vous vu l'hippopotame
Qui minaude comme une femme?

Avez-vous vu le perroquet
Lançant très haut son bilboquet?

Avez-vous vu la poule au pot
Voler en rassemblant ses os?

Mais moi, m'avez-vous bien vu, moi,
Que personne jamais ne croit?

Maurice Carême

Liberté

Prenez du soleil
Dans le creux des mains,
Un peu de soleil
Et partez au loin!

Partez dans le vent,
Suivez votre rêve ;
Partez à l'instant,
La jeunesse est brève !

Il est des chemins
Inconnus des hommes,
Il est des chemins
Si aériens !

Ne regrettez pas
Ce que vous quittez.
Regardez, là-bas,
L'horizon briller.

Loin, toujours plus loin,
Partez en chantant !
Le monde appartient
A ceux qui n'ont rien.

Maurice Carême                                               

Les Oiseaux Perdus

Le matin compte ses oiseaux
Et ne retrouve pas son compte.
Il manque aujourd'hui trois moineaux,
Un pinson et quatre colombes.

 Ils ont volé si haut, la nuit,
Volé si haut, les étourdis,
Qu'à l'aube ils n'ont plus trouvé trace
De notre terre dans l'espace.

 Pourvu qu'une étoile filante
Les prenne sur sa queue brillante
Et les ramène ! Il fait si doux
Quand les oiseaux chantent pour nous.


Maurice Carême

Le Brouillard


Le brouillard a tout mis
Dans son sac de coton ;
Le brouillard a tout pris
Autour de ma maison.

 Plus de fleur au jardin,
Plus d’arbre dans l’allée ;
La serre du voisin
Semble s’être envolée.

 Et je ne sais vraiment
Où peut s’être posé
Le moineau que j’entends
Si tristement crier.


Maurice Carême

Pour Dessiner Un Bonhomme

Deux petits ronds dans un grand rond.
Pour le nez, un trait droit et long.
Une courbe dessous, la bouche.
Et pour chaque oreille, une boucle.

 Sous le beau rond, un autre rond
Plus grand encore et plus oblong.
On peut y mettre des boutons :
Quelques gros points y suffiront.

 Deux traits vers le haut pour les bras
Grands ouverts en signe de joie,
Et puis deux jambes, dans le bas,
Qu’il puisse aller où il voudra.

Et voici un joli bonhomme
Rond et dodu comme une pomme
Qui rit d’être si vite né
Et de danser sur mon papier.


Maurice Carême

Il a neigé


Il a neigé dans l'aube rose
Si doucement neigé
Que le chaton noir croit rêver.
C'est à peine s'il ose
Marcher.

Il a neigé dans l'aube rose,
Si doucement neigé
Que les choses
Semblent avoir changé.

 Et le chaton noir n'ose
S'aventurer dans le verger,
Se sentant soudain étranger

A cette blancheur où se posent,
Comme pour le narguer,
Des moineaux effrontés.

Maurice Carême

Mon petit chat

J'ai un petit chat,
Petit comme ça.
Je l'appelle Orange.

 Je ne sais pas pourquoi
Jamais il ne mange
Ni souris ni rat.

 C'est un chat étrange
Aimant le nougat
Et le chocolat.

 Mais c'est pour cela ,
Dit tante Solange ,
Qu'il ne grandit pas !

Maurice Carême

Notre école

Notre école se trouve au ciel.
Nous nous asseyons près des anges
Comme des oiseaux sur les branches.
Nos cahiers d’ailleurs ont des ailes.

A midi juste, l’on y mange,
Avec du vin de tourterelle,
Des gaufres glacées à l’orange.
Les assiettes sont en dentelle.

 Pas de leçons, pas de devoirs.
Nous jouons quelquefois, le soir,
Au loto avec les étoiles.

Jamais nous ne rêvons la nuit
Dans notre petit lit de toile.
L’école est notre paradis.

Maurice Carême

Le Givre

Le givre

Mon Dieu ! comme ils sont beaux
Les tremblants animaux
Que le givre a fait naître
La nuit sur ma fenêtre

Ils broutent des fougères
Dans un bois plein d’étoiles,
Et l’on voit la lumière
A travers leurs corps pâles.

Il y a un chevreuil
Qui me connaît déjà ;
Il soulève pour moi
Son front d’entre les feuilles.

Et quand il me regarde,
Ses grands yeux si doux
Que je sens mon cœur battre
Et trembler mes genoux.

Laissez-moi, ô décembre !
Ce chevreuil merveilleux.
Je resterai sans feu
Dans ma petite chambre.


                     Maurice Carême

Au Cirque

Ah ! si le clown était venu !
Il aurait bien ri, mardi soir :
Un magicien en cape noire
A tiré d'un petit mouchoir
Un lapin, puis une tortue
Et, après, un joli canard.
Puis il les a fait parler
En chinois, en grec, en tartare.
Mais le clown était enrhumé :
Auguste était bien ennuyé.
Il dut faire l'équilibriste
Tout seul sur un tonneau percé.
C'est pourquoi je l'ai dessiné
Avec des yeux tout ronds, tout tristes
Et de grosses larmes qui glissent
Sur son visage enfariné.


Maurice Carême

Tu Es Belle, Ma Mère

Tu es belle, ma mère,
Comme un pain de froment.
Et, dans tes yeux d'enfant,
Le monde tient à l'aise.

Ta chanson est pareille
Au bouleau argenté
Que le matin couronne
D'un murmure d'abeilles.

Tu sens bon la lavande,
La cannelle et le lait ;
Ton coeur candide et frais
Parfume la maison,

Et l'automne est si doux
Autour de tes cheveux
Que les derniers coucous
Viennent te dire adieu.

Maurice Carême

Sans Titre

Ah ! que de merveilles scintillent

Lorsque danse une goutte d'eau !

Un ange parfois joue aux billes,

Une étoile tombe au ruisseau.

On ne sait jamais quel manteau

De fée courant dans les jonquilles

On peut coudre avec une aiguille

En rêvant derrière un carreau.



Maurice Carême

J ’ai crié Avril


J'ai crié. " Avril ! "
 À travers la pluie,
 Le soleil a ri.


J'ai crié. " Avril ! "
 Et des hirondelles
 Ont bleui le ciel.


J'ai crié. " Avril ! "

Et le vert des prés

S'est tout étoilé.


J'ai crié. " Avril !
 Veux-tu me donner
 Un beau fiancé ? "

Mais, turlututu,
Il n 'a rien répondu.

Gare isolée


On allume les lampes.
 Un dernier pinson chante.
 La gare est émouvante
 En ce soir de septembre.
 Elle reste seule
 À l’écart des maisons,
 Si seule à regarder
 L’étoile du berger
 Qui pleure à l’horizon
 Entre deux vieux tilleuls.

 Parfois un voyageur
 S’arrête sur le quai,
 Mais si las, si distrait,
 Qu’il ne voit ni les lampes,
 Ni le pinson qui chante,
 Ni l’étoile qui pleure
 En ce soir de septembre.
 Et la banlieue le cueille,
 Morne comme le vent
 Qui disperse les feuilles
 Sur la gare émouvante
 Et plus seule qu’avant.

Joie de vivre

Une étroite fenêtre ouverte
Sur un jardin aux lignes pures.
Sous l'arceau d'une plante verte,
Une fillette qui adjure
La poupée de rester couverte.

Le jour qui vient de s'éveiller
Ne cesse de s'émerveiller.
Et c'est toute la joie de vivre
Que le vent, de son crayon bleu,
Note sur le livre des cieux.

Fantaisie

L'homme habitait un quart de pomme ;
La femme, un huitième de poire.
Leur vieille cousine Opportune
Vaquait dans une demi-prune.
Il y avait monsieur Léon
Qui débordait d'un gros citron
Et sa sœur, madame Emérence,
Qui emplissait toute une orange.
Quant à moi, chétive fillette,
Je tenais dans une noisette
Et, comme je n'étais pas grosse,
Il arrivait, les jours de fête,
Que je m'y déplace en carrosse.

L'Enfant Et Le Tilleul

Cette petite enfant croyait
- Quand elle chantait toute seule
       Dans le fond du jardin -
Que personne ne l'écoutait.
Mais elle oubliait le tilleul
       A qui le vent prêtait
       La longue flûte verte,
Le tilleul qui se croyait seul
Lui aussi au cœur de l'été.
Et les étoiles, sur le bord
Bleu du ciel, se penchaient si fort
       Pour mieux les écouter
       Qu'on les voyait tomber
Toutes luisantes par milliers

Le Petit Lapon

Je n'ai jamais vu de lama,
De tamanoir ni de puma.

Je n'ai pas été à Lima,
Ni à Fez, ni à Panama.

Je ne possède ni trois-mâts,
Ni charrette, ni cinéma.

Je ne suis qu'un petit Lapon,
Qui sculpte de petits oursons.

Avec un os, dans un glaçon.


L’Enfant

A quoi jouait-il cet enfant ?
Personne n'en sut jamais rien
On le laissait seul dans un coin
Avec un peu de sable blanc

On remarquait bien, certains jours,
Qu'il arquait les bras tels des ailes
Et qu'il regardait loin, très loin,
Comme du sommet d'une tour.

Mais où s'en allait-il ainsi
Alors qu'on le croyait assis ?
Lui-même le sut-il jamais ?

Dès qu'il refermait les paupières,
Il regagnait le grand palais
D'où il voyait toute la mer.

La Fillette Et Le Poème

La fillette et le poème 


"Le poème, qu'est-ce que c'est ?
M'a demandé une fillette :
Des pluies lissant leurs longues tresses,
Le ciel frappant à mes volets,
Un pommier tout seul dans un champ
Comme une cage de plein vent,
Le visage triste et lassé
D'une lune blanche et glacée,
Un vol d'oiseaux en liberté,
Une odeur, un cri, une clé ?"

Et je ne savais que répondre
Jeu de soleil ou ruse d'ombre ? -
Comment aurais-je su mieux qu'elle
Si la poésie a des ailes
Ou court à pied les champs du monde ?

Quand Les Chevaux Rentrent Très Tard



Il arrive que, rentrant tard
Par les longues routes du soir,
Les chevaux tout à coup s'arrêtent,
Et, comme las, baissent la tête.
Dans le charrette, le fermier
N'esquisse pas le moindre geste
Pour les contraindre à se presser.
La lune, sur les blés jaunis,
Vient lentement de se lever,
Et l'on entend comme le bruit
D'une eau qui coule dans l'été.
Quand les chevaux rentrent très tard,
Le fermier ne sait pas pourquoi,
Le long des routes infinies,
Il les laisse avidement boire
Aux fontaines bleues de la nuit.

Simple vie

C'est du soir en fruit,
De la nuit en grappe
Et le pain qui luit
Au clair de la nappe.

C'est la bonne lampe
Qui met, sur les fronts
Rapprochés en rond
Sa joie de décembre.

C'est la vie très simple
Qui mange en sabots,
C'est la vie des humbles :
Sourire et repos. 

Le jeu de cartes

Quel étrange jeu de cartes !
Les rois n'aiment pas les reines,
Les valets veulent combattre,
Et les dix n'ont pas de veine.

Les piques, plus pacifiques,
Se comprennent assez bien;
Ils adorent la musique
Et vivent en bohémiens.

Les trèfles sont si distraits
Qu'ils tombent sur les carreaux.
Quand un cinq rencontre un sept,
Ils se traitent de nigauds.

Quel étrange jeu de cartes !
Le diable même en a peur
Car il s'est brûlé la patte
En retournant l'as de cœur.

© Fondation Maurice Carême

Le Hibou

Caillou, genou, chou, pou, joujou, bijou,

Répétait sans fin le petit hibou.

 Joujou, bijou, pou, chou, caillou, genou,

Non, se disait-il, non, ce n'est pas tout.

Il y en a sept pourtant, sept en tout :

Bijou, caillou, pou, genou, chou, joujou.

Ce n'est ni bambou, ni clou, ni filou...

Quel est donc le septième ? Et le hibou,

La patte appuyée au creux de sa joue,

Se cachait de honte à l'ombre du houx.

Et il se désolait, si fatigué

Par tous ses devoirs de jeune écolier

Qu'il oubliait, en regardant le ciel

Entre les branches épaisses du houx,

Que son nom, oui, son propre nom, hibou,

Prenait, lui aussi, un X au pluriel.

 

Maurice Carême

L'automne

L’automne au coin du bois,

Joue de l'harmonica.

Quelle joie chez les feuilles !

Elles valsent au bras

Du vent qui les emporte.

On dit qu'elles sont mortes,

Mais personne n'y croit.

L 'automne au coin du bois,

Joue de l'harmonica.



Maurice Carême

Ponctuation


- Ce n'est pas pour me vanter,
 Disait la virgule

            Mais, sans mon jeu de pendule,

            Les mots, tels des somnambules,

            Ne feraient que se heurter.



- C'est possible, dit le point.

            Mais je règne, moi,

            Et les grandes majuscules

Se moquent toutes de toi

Et de ta queue minuscule.



- Ne soyez par ridicules,

            Dit le point-virgule,

            On vous voit moins que la trace

De fourmis sur une glace.

Cessez vos conciliabules.

 Ou, tous deux, je vous remplace !



Maurice Carême

Alphabet

A c'est l'âne agaçant l'agnelle,
B c'est le boulevard sans bout,
C la compote sans cannelle,
D le diable qui dort debout.

E c'est l'école, les élèves,
F le furet féru de grec,
G la grive grisant la grève,
H c'est la hache et l'homme avec.

I c'est l'ibis berçant son île,
J Le jardin sans jardinier,
K le képi du chef kabyle,
L le lièvre fou à lier.

M c'est le manteau bleu des mages,
N la neige bordant le nid,
O l'oranger pris dans l'orage,
P le pain léger de Paris.

Q c'est la quille sur le quai,
R la rapière d'or du roi,
S le serpent qui s'est masqué,
T la tour au-dessus des toits.

U c'est l'usine qui s'allume,
V le vol du vent dans la voile,
W le wattman de lune,
X le xylophone aux étoiles.

Y c'est les yeux doux du yack
Oublié dans le zodiaque,
Z le zigzag brusque du zèbre
Qui s'enfuit dans les ténèbres,

Malheureux parce qu'il est
Le dernier de l'alphabet.

Maurice Carême

L'école

L’école était au bord du monde,
L’école était au bord du temps.
Au dedans, c’était plein de rondes ;
Au dehors, plein de pigeons blancs.

On y racontait des histoires
Si merveilleuses qu’aujourd’hui,
Dès que je commence à y croire,
Je ne sais plus bien où j’en suis.

Des fleurs y grimpaient aux fenêtres
Comme on n’en trouve nulle part,
Et, dans la cour gonflée de hêtres,
Il pleuvait de l’or en miroirs.

Sur les tableaux d’un noir profond,
Voguaient de grandes majuscules
Où, de l’aube au soir, nous glissions
Vers de nouvelles péninsules.

L’école était au bord du monde,
L’école était au bord du temps.
Ah ! que n’y suis-je encor dedans
Pour voir, au dehors, les colombes !

Maurice Carême

Les Petits Souliers


Par le chemin des écoliers
S’en allaient deux petits souliers,

Deux souliers seuls au monde
S’en allaient par la terre ronde,

S’en allaient, les semelles molles,
A regret, loin de leur école,

S’en allaient chez le cordonnier
Où l’on voit grandir les souliers,

Où l’on voit souliers d’écoliers
Devenir souliers d’ouvriers,

Et parfois, avec de la chance,
Devenir souliers de finance,

Et souvent, avec de l’étude,
Devenir souliers de grand luxe,

Et toujours, avec de l’amour,
Devenir souliers de velours.

Maurice Carème

Le Goûter


On a dressé la table ronde
Sous la fraîcheur du cerisier.
Le miel fait les tartines blondes,
Un peu de ciel pleut dans le thé.

On oublie de chasser les guêpes
Tant on a le cœur généreux.
Les petits pains ont l'air de cèpes
Egarés sur la nappe bleue.

Dans l'or fondant des primevères,
Le vent joue avec un chevreau ;
Et le jour passe sous les saules,

Grave et lent comme une fermière
Qui porterait, sur son épaule,
Sa cruche pleine de lumière.

Maurice Carême

La tranche de pain



Un enfant seul,
Tout seul avec en main
Une belle tranche de pain,
Un enfant seul
Avec un chien
Qui le regarde comme un dieu
Qui tiendrait dans sa main
La clé du paradis des chiens.
Un enfant seul
Qui mord dans sa tranche de pain,
Et que le monde entier
Observe pour le voir donner
Avec simplicité,
Alors qu'il a très faim,
La moitié de son pain
Bien beurré à son chien.

Maurice Carême